Le parti souverainiste de gauche, Québec solidaire (QS), a tenu son congrès du 7 au 9 novembre dernier à Québec. Les délégué·e·s y ont élu le député Sol Zanetti comme nouveau co-porte-parole, aux côtés de la députée Ruba Ghazal qui poursuit son mandat. Les deux ont ratifié un nouveau programme politique qui orientera l’élaboration des prochaines plateformes électorales. Alors que les sociaux-démocrates ailleurs au pays se demandent comment revitaliser la gauche dans la conjoncture difficile que l’on connaît aujourd’hui, l’histoire de Québec solidaire et ses efforts de renouveau offrent matière à réflexion.
Depuis ses débuts, la CCF-NPD repose sur un noyau de militant·e·s qui se voient comme partie prenante d’un projet de « parti de masse ». Comparativement au NPD actuel, Québec solidaire jouit d’une culture de parti de masse nettement plus vivante. Dès sa fondation en 2006, Québec solidaire a pris des mesures novatrices pour faire échec à la fameuse « loi d’airain de l’oligarchie » énoncée par le sociologue de la fin du XIXe siècle Roberto Michels, selon laquelle le pouvoir finit inévitablement par être concentré entre les mains d’une élite, et pour aborder l’éternel enjeu de l’obligation de rendre des comptes du caucus du parti dans la pratique du socialisme parlementaire. Au premier rang de ces décisions, figure le fait que Québec solidaire n’a pas de chef. Le parti assure plutôt une parité homme-femme entre deux « porte-parole ». Avant chaque élection générale, les délégué·e·s au congrès déterminent lequel des deux sera désigné comme candidat au poste de premier ministre.
La culture de parti de masse de Québec solidaire est étroitement liée à l’existence d’une vision collective claire et ambitieuse, définie et repensée périodiquement par la base. Alors que le NPD fédéral a renoncé depuis 1983 à définir des grandes orientations stratégiques et à rédiger de grands manifestes politiques, Québec solidaire continue de produire un « programme » environ tous les cinq ans. Ce document énonce les grandes orientations du parti et est élaboré à la faveur d’un processus vaste et très structuré de consultation et de rédaction où l’exécutif du parti sollicite activement les apports des associations locales du parti dans les circonscriptions. Au vu des normes canadiennes, le congrès 2025 de Québec solidaire s’est distingué par sa rigueur intellectuelle, son sérieux et sa discipline. Il se voulait autant une rencontre de travail qu’une activité de réseautage: les délégué·e·s ont pris soigneusement connaissance de leurs cahiers synthèse et ont fait adopter de nombreux amendements au projet de programme présenté par l’exécutif.
La grève étudiante de 2012 contre la hausse des frais de scolarité, à l’occasion de laquelle des centaines de milliers de manifestants ont bloqué les rues de Montréal pendant plusieurs mois, a laissé une forte empreinte sur Québec solidaire. Plusieurs figures militantes de ce mouvement ont choisi d’investir la politique partisane dans les années qui ont suivi, et constituent aujourd’hui le noyau central de l’appareil institutionnel solidaire. Leur passage « de la rue à l’État » rappelle celui de militant·e·s syndicalistes du début du XXe siècle comme J.S. Woodsworth, qui ont fondé des partis socialistes dans la foulée de la grève générale de Winnipeg en 1919.
Après une période de croissance — depuis sa fondation en 2006 jusqu’à l’élection d’un caucus de 11 députés à l’Assemblée nationale en 2022 — Québec solidaire accuse aujourd’hui un creux en matière de mobilisation. Cette impasse s’explique en grande partie par le regain de popularité du Parti québécois (PQ) depuis 2022. Cette année-là, Québec solidaire l’avait dépassé alors que le PQ n’avait obtenu que trois sièges. Le virage à droite du PQ dans les années 2000 et 2010 avait pourtant largement contribué à la création et à la croissance de Québec solidaire. Mais le moral des militant·e·s solidaires a subi un contrecoup après la campagne de 2022, axée sur une plateforme perçue comme trop centriste, que plusieurs ont vue comme une tentative maladroite — pilotée par le personnel — de séduire l’électorat péquiste.
À l’instar du NPD, des tensions couvent sous la surface au sein de Québec solidaire à propos du rôle du personnel politique et du recours à des approches de marketing électoral conventionnelles. Les conflits internes récents et la démoralisation des militants solidaires nourrissent l’impression que l’ex-co-porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois a agi davantage comme un chef de parti traditionnel, et que les membres du caucus ont réagi trop fortement face aux opinions exprimées par les grands médias sur des enjeux controversés. Parmi les épisodes révélateurs, mentionnons la rupture publique entre Nadeau-Dubois et la députée de QS Catherine Dorion, la démission de la co-porte-parole Émilise Lessard-Therrien en 2024, et la défense jugée par trop timide du caucus à l’endroit du député Haroun Bouazzi lorsqu’il a fait face à une réaction hostile après avoir dénoncé le racisme à l’Assemblée nationale à la fin de l’année dernière. Au printemps, Nadeau-Dubois a choisi de démissionner, espérant ainsi favoriser un renouveau au sein du parti.
Si Québec solidaire réussit à tourner la page sur cet épisode sombre, ce sera en renouant avec ses racines et sa base progressiste, comme semble l’indiquer l’orientation prise au congrès de novembre. Un renouveau pourrait ramener vers Québec solidaire une partie de l’électorat souverainiste de la génération Z, attirée aujourd’hui par le PQ, en faisant clairement ressortir le contraste des valeurs qui les animent — alors que le PQ cherche plutôt à livrer concurrence à la Coalition Avenir Québec (CAQ) sur le terrain nationaliste identitaire francophone. Le départ du député de Rosemont, Vincent Marissal, après le congrès, illustre à la fois l’élan dont jouit le PQ et les défis qui persistent à Québec solidaire.
Malgré tout, le congrès de novembre a rappelé à quoi peut ressembler une vraie politique de parti de masse apte à revigorer un parti de gauche. Des membres du caucus aux délégué·e·s, jusqu’aux co-porte-paroles Ghazal et Zanetti au microphone, le langage propre à la « transformation » et même le vocabulaire de la « révolution » sont revenus souvent dans les discours. La vigoureuse solidarité exprimée à l’endroit de la cause palestinienne a aussi accentué le contraste avec le PQ au centre-gauche, et avec les libéraux et la CAQ au centre et à droite. Contrairement aux grands partis québécois, Québec solidaire a dénoncé sans détour la stigmatisation des personnes immigrantes et a affirmé haut et fort la souveraineté des peuples autochtones, soulevant ainsi une ovation générale. Les délégué·e·s ont également voté pour retirer du programme un passage jugé trop musclé sur l’importance d’apprendre le français.

L’un des principaux atouts de Zanetti comme co-porte-parole est sa capacité à établir une connexion émotionnelle avec l’électorat. Les stratèges néo-démocrates ont souvent cru que le meilleur moyen d’établir ce lien était de relater des anecdotes personnelles — sur un·e électeur·trice en difficulté, ou sur l’histoire familiale du chef. On cite souvent l’organisateur Marshall Ganz comme modèle pour mobiliser les citoyen·ne·s et les inciter à passer à l’action, mais Zanetti semble puiser ailleurs son talent et ses atouts organisationnels. Dans la boîte noire du séparatisme québécois souvent méconnu par les anglophones, réside une tradition utopiste laïque apte à inspirer la gauche d’un océan à l’autre. Zanetti évoque la nécessité de redécouvrir la joie que procure l’action politique et la création d’un mouvement enraciné dans la passion collective des rêveurs que l’on surnomme les « crinqués ». Cet appel à la passion trouve son écho dans le Refus global de 1946, où l’artiste Paul-Émile Borduas parlait de joie, d’amour et de rupture avec l’ordre établi, et appelait à « [prendre] allègrement l’entière responsabilité de demain ». Zanetti a raconté lors du discours prononcé au congrès qu’un ancien combattant lui avait dit que c’était cette passion même qui constituait le seul véritable rempart contre le fascisme.
La génération qui a fondé le NPD savait comment mobiliser les gens autour d’une cause morale. À titre de premier ministre CCF de la Saskatchewan et de premier chef du NPD fédéral, Tommy Douglas dirigeait un parti né dans les sous-sols de l’Église Unie, et fondé sur le socialisme chrétien et ses valeurs de justice et d’égalité. Cette même vision animait encore le parti dans les années 1970, lorsque Douglas appelait à une lutte permanente contre la pauvreté et l’exclusion. C’est uniquement en remplissant cette condition, disait-il, que le Canada pourra devenir « un grand pays ». Même la Déclaration de Winnipeg de 1956, pourtant considérée plus centriste que le manifeste de Regina, qualifiait encore le capitalisme d’« essentiellement immoral », et les plateformes des années 1960 faisaient toujours allusion au « sens moral » de l’action politique. Zanetti et Ghazal, à titre de co-porte-paroles de Québec solidaire, rappellent que cette façon de faire la politique est encore possible en 2025 — et Québec solidaire pourrait bien réussir à rallier l’imaginaire et susciter l’enthousiasme des progressistes québécois·e·s en vue des élections générales de 2026.

